Dilution de l’image de marque

(2018)

Du crayon de papier customisé à la nouvelle mode de l’application dédiée, l’image de marque doit-elle tout investir ? Petit décryptage de la nouvelle tendance des produits dérivés…

Publié sur Medium

L’omniprésence de l’image de marque
 

Depuis l’avènement des réseaux sociaux, la concurrence entre les marques a été rendue plus féroce. L’image de marque doit être présente partout, tout le temps. Elle doit être plus qu’identifiable : elle doit devenir mémorable.
 

Car le plus grand défi des marques vis-à-vis de leurs cibles est aujourd’hui celui de l’attention : sur Internet et les réseaux sociaux, le temps d’attention moyen est aujourd’hui de 8 secondes. Chaque marque est soumise au même contenant, qui noie quelque peu leurs codes visuels dans une masse d’informations.
 

Les marques ont donc de plus en plus souvent recours à de nouvelles offres pour se distinguer de la concurrence et marquer les esprits : collections capsules avec des influenceurs, collaborations inattendues entre des marques et des célébrités, ou encore la production d’objets atypiques en série limitée pour créer des remous sur les réseaux sociaux et la presse.
 

L’aspect quasi-confidentiel de ces sorties reste cependant pertinent avec l’évolution des tendances du marché : les clients préfèrent dorénavant aux productions en chaîne l’objet qu’ils seront (presque) seuls à posséder.
 

Ainsi, marques et entreprises choisissent parfois de développer, en parallèle de leur cœur d’activité, des objets simples à produire et à diffuser.
 

Au-delà de leur édition limitée, leur production engendre généralement peu de frais pour qu’ils puissent être distribués gratuitement ou à prix réduit aux clients. D’autre part, ils sont dans l’ensemble assez petits et légers pour être distribués à grande échelle sans causer des surcoûts d’expédition.
 

Les marques qui font ce choix le font parfois à très bon escient : le secteur des “très petits accessoires” — ou produits dérivés — afficherait une croissance de 5,3% depuis 2014, pour un chiffre d’affaires de 5,7 milliards de dollars dans l’industrie du luxe (source : la Parisienne).

Brique Supreme & Boomerang Chanel : même combat ?
 

Pour illustrer mon propos, j’aimerais revenir sur deux objets qui dès leur sortie ont saturé les médias concernés : la brique Supreme de 2016 et le boomerang Chanel de 2017. Chacun est sorti en marge de collections de leur marque respective, et a suscité de vives réactions et interrogations autour de leur existence même.
 

D’un côté nous avons une brique, en terre crue, de format standard, qui comporte le fameux logo en Futura Bold Italic pressé dans la matière.
 

De l’autre, un boomerang en bois partiellement laqué, impraticable selon certains, estampillé du sigle reconnaissable entre tous.
 

Le premier s’est écoulé en quelques heures pour être revendu au prix fort sur des plateformes d’enchères en ligne, l’autre a fait vivement polémique auprès des fans de la marque. Pour beaucoup, il s’agit d’objets sans intérêt, ni plus ni moins. Pire, ils auraient nui à l’image de marque de ces dernières, en privilégiant un coup de com’ explosif à un storytelling cohérent.
 

Pourtant, il est primordial de trier ces objets dans deux classes distinctes : d’un côté, il y a le produit dérivé, et de l’autre, le gadget. Ces deux catégories sont aux antipodes l’une de l’autre, pourtant la frontière qui les sépare est encore floue, aussi bien pour les consommateurs que pour les marques elles-mêmes.

Produits dérivés versus Gadgets
 

Premier point : ce n’est pas un critère d’utilité qui fait la distinction entre produits dérivés et gadgets. Un objet peut être tout à fait inutile et pourtant entièrement véhiculer l’image de marque ainsi que ses valeurs. C’est cette capacité à transmettre plus que du matériel qui distingue les produits dérivés des gadgets.
 

Il ne s’agit pas non plus de critères esthétiques : ce ne sont pas la présence ou l’affirmation des codes visuels de la charte qui garantissent que l’image de marque sera respectée, mais bien l’essence de l’objet en lui-même : quel est cet objet ? Quelle histoire raconte-t-il ? Sa contribution à mon quotidien reflète-t-elle suffisamment les valeurs et l’ADN de marque ?
 

Apposer un logo ne suffit pas pour transmettre à l’objet toute la valeur ajoutée d’une marque. Au contraire même, la présence d’un logo sur un objet incongru pose souvent problème aux clients tant il vient brouiller le message et l’image de marque.
 

D’autre part, ce n’est pas la matérialité qui joue en faveur de l’un ou de l’autre comme critère de qualité : produits dérivés comme gadgets sont à nouveau soumis au critère de l’ADN de marque, d’ailleurs plus cruel dans le virtuel que dans le réel. En effet, nombre de marques se sont aujourd’hui lancées dans le développement de leur application dédiée sans vraiment répondre à un besoin de leur clientèle, et sans anticiper d’expérience utilisateur évocatrice de leur cœur d’activité, ou de ce qui fait leur reconnaissance.
 

La nouvelle mode des bibliothèques d’émojis aux couleurs d’une marque le démontre bien : cette offre, en plus de ne répondre à aucun besoin utilisateur, apporte rarement un véritable esprit de nouveauté.
 

À nouveau, comme lorsque j’ai parlé de la transition digitale du luxe, l’image de marque est plus souvent plombée par une technologie et une expérience mal-appropriées que portée aux nues pour sa contribution à l’innovation.
 

Pour résumer, un objet constitue un véritable produit dérivé lorsqu’il :
 

– incorpore les codes visuels de la marque
– possède une bonne qualité, matérielle ou immatérielle
– convoque un imaginaire et une histoire proche de l’ADN de marque
– porte avec lui un regard et un ton décalé sur la perception de la marque
– répond éventuellement à un vrai besoin utilisateur

Quand l’accessoire devient essentiel
 

Revenons à nos deux exemples d’envergure : selon les critères énoncés ci-dessus, le seul objet correspondant à la définition du produit dérivé s’avère être… la brique Supreme.
 

Depuis 2005, Supreme a toujours collaboré avec d’autres marques pour produire des accessoires (d’abord proche du secteur textile, tels que des lunettes de soleil, des gants, etc.) et enrichir leurs collections S/S et A/W d’objets annexes décalés mais toujours proches de leur histoire.
 

Accessoires de skate, matériel de sport, kit de luxe pour globe-trotteurs… Ces accessoires, toujours plus incongrus, participent à présent à l’écriture en continu de leur ADN de marque, au même titre que leur rouge flamboyant et leur inhérent logo en lettrage.
 

Cette brique, toute brique soit elle, s’insère parfaitement dans leur catalogue conséquent d’accessoires improbables et place une anecdote de plus dans l’histoire de la marque, toujours dans le respect de son état d’esprit du “laid back”.
 

Le boomerang Chanel pose en revanche beaucoup plus de problème vis-à-vis d’une marque incarnant la haute couture française. Au-delà de la légitime polémique autour de l’appropriation culturelle déplacée, l’image de Chanel perd aussi en cohérence sur ce que la marque souhaite incarner.
 

Sorti en marge d’une collection sportswear aux côtés notamment de raquettes de plage ou de tennis, le boomerang dénote complètement avec les valeurs traditionnellement associées à Chanel : l’élégance, la légèreté, l‘exception française et la figure de la créatrice Coco.
 

Face à boomerang Chanel, l’on est décontenancé. Peut-on vraiment jeter un objet Chanel au petit bonheur, en espérant qu’en bon boomerang, il nous reviendra ? Peut-on plus généralement jeter des objets Chanel ? Chanel n’est-elle pas une marque qui nous définit en tant que personne lorsque l’on s’entoure de fétiches estampillés ? Ce sont aussi toutes ces interrogations qui ont laissé les fans de la marque pantois.

Respect de l’image de marque et créativité
 

Mais alors, doit-on rester enfermé à jamais dans une image de marque aux codes rigoureux pour se parer de tout potentiel backlash ? Pas forcément.
 

La direction artistique permet d’anticiper et de résoudre ces problématiques d’expansion d’image de marque et de sa diffusion dans l’ensemble des supports. En développant le plus possible votre charte d’identité autour de valeurs fortes et de messages cohérents, vous assurez une communication claire et limpide avec vos clients et vos ambassadeurs.
 

Il est primordial de comprendre vos codes visuels et les traduire à bon escient dans des codes d’usage. L‘exercice du portrait chinois est par exemple un bon moyen de transposer votre charte graphique dans une personnification de votre marque, au caractère unique et attractif.
 

Produire de tels accessoires peut en effet être à double-tranchant : votre image de marque en ressort soit affaiblie, diluée dans trop de messages et d’interprétations physiques ; soit renforcée, portée par vos consommateurs et leurs retours d’expérience sur ces objets, combien et comment ils comptent à leurs yeux.
 

Les produits dérivés peuvent être un magnifique prétexte créatif et exploratoire du territoire de marque, ils peuvent même ouvrir une nouvelle voie au développement de votre entreprise ; tant que votre démarche reste appuyée par les critères énoncés ci-dessus, et non pas ( je ne le martèlerai jamais assez fort) par ceux du gadget.